Invités : Lorraine de Sagazan, artiste ; Lucia Argibay, magistrate (syndicat de la magistrature) ; Lahoucine Ait-Ben-Idir, directeur d’un Centre éducatif fermé (CEF) ; Laurence Dumoulin, chercheuse ; Fabien Jobard, sociologue
Pour son premier rendez-vous de la saison, Le Théâtre, scène nationale de Saint-Nazaire a accueilli mercredi 1er octobre, un grand débat autour des services publics de la justice et de la police. Retour sur cet événement qui s’inscrit dans le cycle « les services publics entrent en scène ».
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compte-rendu
Police répressive ou violence légitime ? Justice laxiste, ou au contraire trop autoritaire ? Justice à deux vitesses, trop lente ou trop rapide ? Les témoignages des habitantes et habitants, recueillis sur des bouts de papiers anonymes avant le débat, ont illustré la variété de représentations que les citoyens et citoyennes se font de ces deux services publics. Durant plus de deux heures et devant un auditoire captif, Fabien Jobard, Lahoucine Aït Ben Idir, Lorraine de Sagazan, Laurence Dumoulin, Lucia Argibay, ont fait œuvre de grande pédagogie.
Services publics abîmés, miroir grossissant des inégalités
Nos perceptions de la police et de la justice sont parsemées de paradoxes. Les mouvements sociaux des dix dernières années, émaillés de dérives et de violences policières, ont terni l’image de l’institution qui n’en reste pas moins très appréciée dans l’opinion publique. Certaines recherches vont même plus loin : moins l’usager et l’usagère sont confrontés à la police et plus il ou elle l’apprécie. Idem pour la justice, où la violence institutionnelle – parfois insoupçonnée – éclate au grand jour quand on y est confronté pour la première fois.
Le constat est sans appel. Un service public dont l’image se déprécie à mesure qu’il en est fait usage, est un service public défaillant.
Alors que les fondements de notre démocratie rappellent que les citoyennes et les citoyens sont libres et égaux en droit, la police et la justice sont aujourd’hui appréhendés comme des instruments dysfonctionnels de reproduction des inégalités sociales.
Justice et police, à la moulinette du « new public management »
Gestion de flux, gestion de stocks, la police et la justice n’ont pas été exemptées des logiques de rationalisation qui infusent et sous-tendent depuis maintenant une vingtaine d’années l’ensemble des services publics. Les logiques d’évaluation, et notamment la politique du chiffre, se sont déployées avec pour corollaire une dégradation manifeste des conditions de travail pour les fonctionnaires de la justice et de la police.
Quel sens revêt la justice dite « en temps réel » ? La comparution immédiate, qui a documenté le travail artistique de Lorraine de Sagazan dans sa pièce Léviathan, éclaire à plusieurs reprises les propos. Justifiée par une approche quantitative, elle n’en constitue pas moins dans de nombreux cas un premier contact, rapide et violent, entre les citoyennes et citoyens et l’institution judiciaire.
Alors qu’il est plus facile de compter le nombre d’interpellations et d’incarcérations, les logiques néo-managériales peinent à trouver une manière de valoriser le travail de prévention, bien que ce soit une partie non moins essentielle des missions dévolues aux forces de l’ordre.
Pour une véritable pédagogie, au delà des représentations médiatiques
Loin des poncifs médiatiques qui continuent de véhiculer certaines représentations de ces services publics, tous et toutes s’accordent sur la nécessaire pédagogie qui doit se renforcer autour des missions réellement menées par ces agentes et agents.
Si la focale est aujourd’hui mise sur l’évènementialisation des faits divers et les dossiers les plus dramatiques, les missions du quotidien, la prévention, la protection, doivent être davantage mises en lumière. Les centres éducatifs fermés, alternative à l’incarcération pour les mineurs située à l’interface entre la police et la justice constituent à cet égard un exemple éclairant parmi d’autres.
Il s’agit aussi de donner les clés aux citoyennes et citoyens pour s’emparer de ces institutions et notamment de ses codes, de ses procédures – parfois opaques. La transformation d’un conflit en litige dépossède les usagers et usagères notamment parce qu’ils et elles n’en maîtrisent pas le vocabulaire. Plutôt que d’être vécue comme une entreprise de confiscation de la parole, générant de la désillusion, la justice doit pouvoir être appréhendée comme une ressource pour faire valoir ses droits.
Quand une main se lève dans la salle pour interroger sur le caractère parfois voyeur et illégitime ressenti par celles et ceux qui assistent à des audiences publiques, l’ensemble des personnes sur scène rappellent le caractère essentiel d’une justice rendue en public, en mots et en actes pour toutes et tous.
articles du dossier libération
Libération s’est associé au Syndeac pour couvrir les débats « Les services publics entrent en scène ! » et proposer des articles en lien avec le thème de chacun d’eux dans un dossier intitulé Quels services publics pour la France de demain ?