Plus un jour ne passe, sans que nous ne recevions un appel de collègues – artistes ou à la direction d’une institution culturelle – pour nous faire part d’une pression reçue, d’une menace de sanction budgétaire brandie, d’une campagne diffamatoire sur les réseaux sociaux, ou d’un conseil bienveillant de ses pairs à ne pas s’exposer, à ne pas dire le fond de sa pensée ou à ne pas se risquer à s’associer à telle ou telle déclaration. Ici, c’est un représentant de l’État qui prend la parole en public pour critiquer les intentions d’une artiste dont le spectacle serait supposément subversif. Là ce sont des courriers virulents d’associations qui dénoncent une prise de parole, à la fin d’un spectacle, sur les bombardements à Gaza ou pour évoquer les coupes budgétaires. Ailleurs, une direction d’école d’art jugée trop wokiste par des élus ou encore un journaliste attaqué personnellement par une ministre sur son plateau de télévision.
Il ne s’agit pas de phénomènes isolés et le tableau d’ensemble est sans appel : quotidiennement, la liberté d’expression perd du terrain et une chape de silence plombe davantage la société française.
Si le titre de cet édito paraphrase une citation d’un livre d’Élie Wiesel et Jorge Semprun : “Se taire est interdit. Parler est impossible.”, ce n’est pas pour créer un parallèle avec ce qui est incomparable. Élie Wiesel et Jorge Semprun, 50 ans après avoir survécu aux camps de concentration, dialoguent dans cet ouvrage sur l’impossibilité à mettre des mots sur l’innommable, alors que le devoir de transmettre la mémoire des événements est pourtant impérieux.
Si nous convoquons cette citation, c’est simplement qu’elle traduit littéralement, dans un tout autre contexte, l’état auquel nous semblons réduits. C’est aussi pour donner sa pleine mesure à l’alerte que nous lançons. Pour dire – et nous dire avant tout à nous-mêmes – qu’il n’est plus permis de relativiser, au nom de quelconques prétextes, la gravité de ce que nous vivons de plein fouet pour certain.es et que nous ne pouvons pas ignorer pour les autres. La réunion des droites extrêmes est aux portes du pouvoir à l’échelle européenne et au-delà. Elle y a même déjà accédé dans plusieurs pays. Et si elle parvient à étendre son influence, à contaminer l’espace politique, c’est autant par le trouble institutionnel qu’elle provoque, que par le silence qu’elle veut imposer à celles et ceux qui pourraient lui faire barrage.
Notre Histoire, la mémoire de cette France pour une part collaborationniste, pour une autre résistante mais surtout pour une majorité silencieuse, doit nous encourager à sortir complètement de notre réserve. Partout où la liberté de parole est entravée, où l’intimidation a déjà fait son œuvre au point de fabriquer des mécanismes d’auto-censure, il est indispensable que nous nous rassemblions pour faire front.
Ne laissons plus rien passer sous silence. Ne craignons pas les représailles, même si elles existent. Malgré les signaux alarmants, n’agissons pas comme si la défaite de la pensée était acquise. Car aussi bruyante qu’elle soit, l’extrême droite n’est pas dominante dans notre pays. Ensemble, nous saurons faire reculer ces menaces qui individuellement nous font trembler.
Soyons nombreux à nous mobiliser dans les débats publics que nous organisons dans toute la France.
Parce que parler doit rester possible et que se taire n’est en aucun cas une option, faisons en sorte que les festivals de cet été, soient la caisse de résonance de notre totale liberté de parole.