Le 28 juin dernier, le Théâtre des Ilets – CDN de Montluçon – a accueilli le premier rendez-vous du cycle « les services publics entrent en scène ». Ce cycle de rencontres a pour ambition d’ouvrir, partout en France, des espaces de dialogue autour de la place et de l’avenir des services publics.
Juliette Mant et Carole Thibault, le 28 juin à Montluçon lors du débat | ©️ Florian Salesse pour le théâtre des Îlets.
Censure artistique : une histoire ancienne toujours à l’œuvre
Au cours du débat, la censure dans le domaine artistique est apparue comme ne se résumant pas à des interdictions officielles. Elle s’inscrit dans une histoire longue, marquée par des controverses et des épisodes de rejet. Depuis la bataille de l’art contemporain dans les années 1990 notamment, la confiance entre institutions et artistes s’est fragilisée. Des épisodes marquants – messes de « décontamination » après certaines représentations, vandalismes assumés, polémiques nourries par des responsables politiques – rappellent que l’art peut être perçu comme une menace dès lors qu’il trouble ou interroge. Or c’est sa mission première !
Le débat l’a montré : ces tensions traversent des contextes très divers, parfois portés par des mouvements se revendiquant du progrès. Elles montrent que la défense de la liberté de création ne peut être considérée comme acquise. Les actes de censure ne sont pas toujours spectaculaires : ils se manifestent aussi dans les silences, les déprogrammations discrètes ou les soutiens retirés.
Le public comme prétexte : les logiques d’évitement à l’œuvre
L’un des points soulevés pendant la rencontre concerne les discours qui prétendent protéger « le public » de certaines œuvres. Il est apparu clairement, dans les échanges, qu’un des mécanismes les plus répandus de censure contemporaine consiste à invoquer un public abstrait, présenté comme homogène et vulnérable. « Ce n’est pas pour notre public », entend-on parfois dans les institutions culturelles, pour éviter de présenter des œuvres potentiellement controversées. Cette logique protectrice, qui s’apparente à une forme d’infantilisation, masque en réalité des stratégies d’évitement face aux financeurs, aux élus, ou à une opinion supposée hostile.
Or, comme plusieurs interventions l’ont souligné, le public n’est pas monolithique. Il est aussi un acteur politique, capable de refuser cette posture tutélaire, notamment en se prononçant dans les urnes. Encore faut-il rester lucide sur les usages politiques de la colère. L’histoire récente montre comment des promesses électorales peuvent instrumentaliser une indignation collective, sans se traduire ensuite en actes cohérents une fois le pouvoir conquis.
Partout en France, une parole vive pour défendre la liberté de création
Le choix d’organiser ce premier débat à Montluçon, dans une ville moyenne du Massif central, souvent associée à la « diagonale du vide », n’était pas anodin. Il a permis d’ancrer la discussion dans une réalité concrète, loin des cercles parisiens, mais pas pour autant coupée des enjeux nationaux. Le lieu et le contexte ont donné une tonalité particulière aux échanges.
Le public, nombreux, a pris la parole avec spontanéité et liberté, partageant des témoignages personnels sur des censures subies, des obstacles à la création, des formes d’autocensure ou de pression dans les institutions. Enseignants, artistes, citoyens ont raconté leurs efforts pour maintenir un accès à l’art malgré les restrictions. Ce foisonnement de prises de parole a montré que le sujet concernait tout le monde.
Les discussions ont aussi mis en évidence que les atteintes à la liberté de création ne concernent pas seulement les petites villes ou les campagnes. Elles sont également à l’œuvre dans les grandes agglomérations, y compris en région parisienne, où des cas de pressions ou de coupes budgétaires ciblées se multiplient. Les arts de la rue, l’espace public, les scènes subventionnées : partout, la censure prend des formes variées.
Dans ce contexte de rétrécissement des espaces de dialogue, ce débat a rappelé la nécessité de défendre les lieux culturels comme des espaces d’agora. Non seulement pour accueillir des œuvres, mais pour permettre la confrontation des idées, le désaccord, la construction d’un commun.
LES INVITÉES DU DÉBAT
Un débat animé par Nora Hamadi, journaliste et productrice à France Culture
Avec :
- Carole Thibaut, Directrice du Théâtre des Ilets – CDN de Montluçon
- Juliette Mant, Haute fonctionnaire à la liberté de création
- Claire Dupont, Directrice du Théâtre de la Bastille
- Agnès Tricoire, Présidente de l’Observatoire de la liberté de création